Un générateur électrique fonctionnant à l’hydrogène produit avec de l’urine ?

Un générateur électrique fonctionnant à l’hydrogène produit avec de l’urine ?

Résumé : quatre collégiennes ont mis au point un générateur d’électricité qui carbure à l’urine plutôt qu’au diesel.

Est-ce crédible, est-ce rentable, est-ce réaliste ?

Les journalistes s’enthousiasment souvent sur des sujets sans avoir approfondi l’aspect quantitatif. La science ne se base pas sur des apparences. La science ne doit épargner aucun petit détail.

Il est vrai que l’hydrogène est un combustible intéressant. Néanmoins, l’hydrogène est très inflammable, il est même explosif en brûlant avec l’oxygène, cela constitue un grand danger que l’on ne doit pas négliger.

L’enjeu en Afrique est de pouvoir trouver des solutions pour produire de l’électricité avec des moyens innovants et peu polluants. Je suis absolument d’accord pour que des recherches soient développées dans cette voie.

Cependant, l’article du Figaro semble suggérer que l’urée est la source d’énergie, ou la source d’hydrogène. Cela n’est pas chimiquement exact. Dans l’urine, il y a beaucoup d’eau, il y a aussi des sels minéraux et des substances organiques (dont l’urée) qui y sont dissoutes. Les sels présents en dissolution dans l’eau sont des électrolytes, ils rendent l’eau conductrice d’ions. L’hydrogène, lui, provient de la décomposition électrochimique de l’eau.

L’urée n’est pas un combustible (surtout si ce soluté est dissout dans l’eau), ni même une source d’hydrogène.

Je cite : «Dans des conditions de référence, la combustion de l’urée qui est un solide, donne du CO2, de la vapeur d’eau et du N2 (azote).»   Source : http://public.iutenligne.net/chimie/Valls/chimie-11CG1/thermodynamique1_devoir.htm

Un internaute nommé huberlulu argumente l’article ainsi : «En voilà qui ont encore inventé le « moteur à eau », en contradiction avec toutes les lois de la physique. Quel est le bilan énergétique global de cette opération?? Certainement pas positif, même en utilisant de l’énergie photochimique gratuite.»

Le moteur à eau, connu aussi sous le nom de moteur Pantone, est un mythe plus ou moins associé au mouvement perpétuel. Le moteur Pantone «fonctionne» par le mélange de l’eau au carburant, et de préchauffer ce mélange à l’aide des gaz d’échappement. Cela contrevient aux lois de la chimie car l’eau (même en vapeur) est une molécule chimiquement stable. La molécule d’eau ne se dissocie qu’à partir de 850°C environ en hydrogène et oxygène, la réaction est complète vers 2500°C. L’eau n’est absolument pas un combustible. Ensuite, une installation de type Pantone a pour conséquence la corrosion prématurée des pots catalytiques : la vapeur d’eau oxyde peu à peu les éléments mécaniques métalliques du véhicule…

L’internaute sceptique interroge : quel est le bilan global du moteur à urine ? En effet, pour résumer, les jeunes filles nigérianes utilisent de l’électricité pour électrolyser l’eau de l’urine afin de produire de l’hydrogène qui servira à produire de l’électricité. C’est-à-dire une production indirecte d’électricité via une étape électrochimique intermédiaire dont la source d’énergie initiale est de l’électricité elle-même à partir d’une batterie électrique… Si cette batterie électrique alimentait directement les ampoules, la télévision et le ventilateur sans l’étape électrochimique, nous aurions moins de pertes énergétiques… Parce qu’il y a des pertes dues au rendement.

Bilan électrochimique (en présence de chlorure de sodium) :

  • 2 e⁻ + 2 H2O  ->  2 OH⁻ + H2
  • 2 Cl⁻ -> Cl2 + 2 e⁻

Concrètement, une charge électrique de 192704 C et 36 g d’eau ça donne des anions hydroxyde et 2 g d’hydrogène.

Et 192704 C de charge électrique (dans le bilan) ça donne 71 g de chlore (gaz) qui se dissout peu ) peu dans l’eau.

Une batterie électrique, en gros, ça a une tension électrique de 12 V et une charge de 50 Ah (ampère-heure). Une charge de 50 Ah correspond à 180000 C. Cela signifie que si la batterie se vide en 57 minutes, alors elle aura réalisé une électrolyse pour transformer 36 g d’eau en 2 g d’hydrogène, et 40 g d’hydroxyde de sodium (en solution aqueuse) et 71 g de chlore gazeux dissout dans l’eau. Avec une électrolyse, le rendement est entre 40 et 60%. On dira 50% pour arrondir.

Avec une batterie de 50 Ah vidée en 57 minutes, et avec rendement de 50%, on produira donc 1 g d’hydrogène. La batterie usée aura donc consommé 600 J en 57 minutes.

Avec cet hydrogène produit électrochimiquement, il est réutilisé comme combustible. Avec 4 g d’hydrogène, on peut produire 571,7 kJ d’énergie. Mais comme le rendement est de l’ordre de 50%, alors 4 g d’hydrogène produisent  285,85 kJ de chaleur. Et 285,85 kJ d’énergie thermique transformée en énergie électrique, avec un rendement de 40%, ça donne 114,34 kJ électriques. Soit 28,585 kJ électriques par gramme d’hydrogène disponible.

Cela voudrait dire que si je connecte des batteries électriques en série, de façon à avoir 1 kWh d’énergie électrique pour une électrolyse (il faut prévoir bien plus qu’un litre d’urine, mais l’eau de mer peu faire l’affaire aussi), alors tout l’hydrogène libéré au maximum de ce que peut faire la batterie peut ensuite brûler dans l’oxygène de façon à ce que la chaleur génère 47,64 kWh d’électricité… Contrairement à ce que je m’attendais, la combustion de l’hydrogène produirait plus de chaleur qu’il n’en faudrait pour dissocier l’eau en hydrogène et en anions hydroxyde. J’ai sûrement fait une erreur quelque part, car j’aurais dû trouver normalement une conservation générale de l’énergie : rien ne se perd, rien ne se crée. Une chose est certaine : l’énergie n’est pas gratuite ; l’énergie de l’hydrogène n’existe que grâce à l’apport d’énergie électrique d’une batterie ; et normalement l’énergie électrique finale issue de l’hydrogène combustible devrait être moins importante que l’énergie qu’il aura fallu pour l’électrolyse.

L’électrochimie est un domaine que je connais personnellement, car c’est ce type d’expériences que je réalise le plus souvent quand j’en ai l’occasion.

Quelques minutes dans l’impasse, je trouve une voie grâce à un site web néo-zélandais qui explique ceci : «237.1 kJ is required to convert 1 mole of water (18 g) to H2/O2». Littéralement en français : il faut 237,1 kJ pour convertir une mole d’eau (18 grammes) en hydrogène (2 g) et en oxygène (16 g). L’oxygène est produit lorsque les électrodes sont inoxydables, comme le tungstène ou le platine.

  • Donc, d’après cette nouvelle donnée, alors si une électrolyse produit 1 g d’hydrogène, alors la batterie aura consommé 118,55 kJ d’énergie électrique. Ensuite, si je brûle ce gramme d’hydrogène obtenu pour produire un courant électrique, j’aurai produit seulement 28,6 kJ d’énergie électrique. Concrètement, les pertes sont importantes : on aura un rendement de 24% (comme je l’avais soupçonné comme hypothèse de départ) pour l’ensemble du dispositif «électrolyse/générateur électrique à hydrogène». Énergétiquement, il est plus avantageux d’utiliser directement la batterie électrique pour consommer l’électricité que d’utiliser un générateur électrolytique à hydrogène combustible.
  • Les soupçons de l’internaute huberlulu dans l’article de Figaro étaient fondés.
  • Si le générateur à hydrogène avait été un projet rentable et crédible, le principal problème aurait été celui de la sécurité : l’hydrogène est très inflammable et explosif. J’ai déjà vu une explosion d’hydrogène (à peu près contrôlée, mais c’était limite) : une étincelle, une flamme bleue, et un bruit similaire à celui de la fin du monde. Même en petites quantités (quelques milligrammes).
  • Si l’hydrogène peut produire de la chaleur et de l’électricité, ce qui a enthousiasmé les apprenties chimistes et les journalistes, le bilan énergétique global, c’est-à-dire l’énergie produite moins l’énergie consommée, est significativement négatif. La chimie, comme n’importe quelle autre science expérimentale, est exigeante sur les données quantitatives. Je m’étonne que ce détail n’ait pas été remarqué, sauf par les sceptiques. Une expérience contrôlée avec rigueur, avec un montage de calorimétrie, et avec un multi-mètre, peut prouver ma conclusion. Sur le plan théorique, et là c’est solide depuis environ 2 siècles, le Premier principe de la thermodynamique reflète le principe de conservation de l’énergie : \Delta U = Q + W \,La variation d’énergie interne d’un système est égale à la chaleur et au travail qu’il échange avec le milieu extérieur.

On ne construit pas le mouvement perpétuel impunément.  😉

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Fabriquer de l’électricité via l’hydrogène produit par une électrolyse réalisée par une batterie électrique, c’est courir à perte. En revanche, utiliser l’énergie solaire à la place de la batterie électrique, c’est avantageux. L’énergie du rayonnement solaire est abondante et gratuite, tandis que les batteries électriques ont des inconvénients (métaux lourds, acide sulfurique électrolytique, faible autonomie, coût de fabrication).

Mais utiliser l’énergie solaire c’est plus avantageux si cette énergie solaire est convertie en électricité que l’on utilise directement. Aux latitudes de la France métropolitaine, un mètre carré de panneau solaire génère une puissance électrique moyenne de 18 W. Mieux vaut exploiter ces 18 W directement, plutôt que s’en servir pour électrolyser l’eau pour produire de l’hydrogène dont la combustion produira une électricité dont la puissance électrique sera forcément bien inférieure à 18 W. Mieux que l’hydrogène si on envisage de stocker l’énergie solaire en électricité : l’énergie solaire est convertie en courant électrique continu qui est stocké dans un accumulateur électrique ; nul besoin de produire de l’hydrogène par électrolyse.

Pour bien comprendre mon raisonnement : essayez d’imaginer quel est le bilan énergétique si on aligne un grand nombre d’étapes successives de conversion énergétique. À chaque étape de transformation d’énergie, il y a perte d’énergie exploitable à cause du rendement, c’est-à-dire que l’énergie exploitable est divisée par 2 ou par 4 à chaque étape : ainsi, à la dernière étape, on aura gagné un peu d’énergie mais on en aura dépensé beaucoup pour parvenir finalement à un résultat médiocre.

  • Pour terminer, voici une autre source qui atteste le principe de conservation de l’énergie : http://uuu.enseirb-matmeca.fr/~dondon/devdurable/TPpilecombustible/TPpileacombustible.htm
  • Je cite : «Ainsi la fabrication de 2 g d’hydrogène par craquage d’une mole d’eau (sans tenir compte des pertes) nécessite l’apport de 241 kJ, soit 120.500 kJ pour fabriquer 1 kg d’hydrogène.»
  • Je cite : «Solde de la combustion :   920 – 679 = 241 kJ pour 2g d’hydrogène brûlé soit 120500 kJ /kg d’hydrogène            La fabrication d’hydrogène consomme donc autant d’énergie que sa combustion en restituera. »  Je précise : c’est vrai en théorie, pour un rendement de 100%, mais dans les faits, le rendement est toujours inférieur à 100%, le bilan énergétique sera inévitablement négatif : la fabrication d’hydrogène consomme plus d’énergie que sa combustion en restituera.

Donc on a vu ci-dessus que le problème du rendement rend la fabrication de l’hydrogène peu rentable, le faire est un gaspillage énergétique.

Maintenant, je vais examiner d’autres affirmations de l’article de Yahoo.

  • Je cite : «Un adulte produisant entre un et deux litres d’urine par jour, ces chercheurs estiment que chacun d’entre nous produit assez d’urée sur une année pour faire rouler une voiture sur 2700 kilomètres.»

Déjà, j’ai expliqué que l’urée n’était pas un combustible, et elle ne produit pas non plus de l’hydrogène. Le soluté n’est pas la source d’hydrogène, c’est le solvant (l’eau) qui est source d’hydrogène par dissociation chimique des molécules d’eau.

Plusieurs mois plus tôt, j’ai créé ma propre base de données thermochimiques : https://jpcmanson.wordpress.com/2011/12/06/thermochimie-etude-de-divers-combustibles/

Une distance parcourue en voiture avec la combustion complète de l’octane, alors avec une consommation moyenne de 6,5 L d’octane par 100 km, cela correspond à une énergie de 5466,82 MJ, soient 1518,56 kWh thermiques. On garde en mémoire cette information essentielle.

Ensuite, si les chercheurs se basent sur l’urée pure, sans faire intervenir l’eau dans la synthèse d’hydrogène (alors que c’est pourtant le cas), voici le calcul : la proportion massique d’hydrogène dans la molécule d’urée (NH2CONH2) est de 4/60 = 0,06666 = 6,666%.

Dans l’urine, il y a 95% d’eau et 2% d’urée. Dans 1 L d’urine, il y a donc 20 g d’urée. Et dans ces 20 g d’urée, il y a donc 1,33 g d’hydrogène. La quantité d’urine produite par une personne en une année est de l’ordre de 547,5 kg soit 728 g environ d’hydrogène si on extrait celui-ci de l’urée seule.

Comme 1 kg d’hydrogène produit par combustion 142,92 MJ d’énergie, alors la combustion de 728 g d’hydrogène (en une année) produit une énergie totale de 104 MJ environ, soient 28,88 kWh thermiques. Ce résultat est radicalement différent des 1518,56 kWh d’une voiture ayant roulé sur 2700 km.

Comme le soluté (l’urée) n’est pas lui-même la source d’hydrogène, alors on se base sur l’eau de l’urine. Dans 547,5 kg d’urine pour une année, et sachant que la proportion en hydrogène dans l’eau est de 2/18 = 11,11%, alors si toute l’eau de l’urine annuelle servait intégralement à produire de l’hydrogène jusqu’à la dernière goutte d’eau, cela correspond à une production totale de 60,77 kg d’hydrogène. La combustion de 60,77 kg d’hydrogène produit une énergie d’environ 8685 MJ, soient environ 2412,5 kWh thermiques. L’eau productrice d’hydrogène, cela se rapproche plus des 1518,56 kWh de la voiture, par rapport à l’urée faussement productrice d’hydrogène.

Bilan :

  • une voiture parcoure 2700 km en brûlant de l’octane, l’énergie est de 1518,56 kWh environ.
  • une année de production d’urine produit assez d’hydrogène pour produire 2412,5 kWh par combustion de l’hydrogène extrait de l’eau, MAIS pour électrolyser l’eau de l’urine, il aura fallu dépenser plus de 10 000 kWh électriques (ou plutôt au moins 20 000 kWh car j’oublie la conversion de l’énergie de combustion d’hydrogène pour produire de l’électricité) !!! L’hydrogène comme moyen énergétique, c’est du gaspillage d’électricité. Remède : mieux vaut utiliser l’énergie solaire ou éolienne pour faire des électrolyses, à la place des batteries électriques. Mieux encore : il vaudrait mieux des panneaux solaires ou des éoliennes produisant directement de l’électricité, sans passer par des électrolyses comme étape.

Dernière vérification :

Je cite : «les quatre collégiennes nigérianes affirment pouvoir alimenter en électricité quelques ampoules, une télévision et un ventilateur pendant six heures. Tout cela avec un seul litre d’urine.»

Il y a 111,11 g d’hydrogène au maximum dans 1 L d’eau ou d’urine. Ces 111,11 g d’hydrogène, par combustion, libèrent 15,88 MJ de chaleur. Compte tenu du rendement, on aura obtenu 7,94 MJ en réalité. Ces 7,94 MJ sont convertis en électricité via un générateur, là encore on applique un rendement et l’on n’aura gagné que 4 MJ environ d’énergie électrique (environ 1,1 kWh)… Avec 1,1 kWh, on peut consommer 1100 W pendant une heure. Comme la durée de débit électrique est de 6 heures, alors la puissance moyenne totale possible d’après les travaux des jeunes expérimentatrices est de l’ordre de 185 W : cette puissance est relativement faible pour faire marcher un ensemble électroménager composé d’une TV, d’ampoules et un ventilateur. Si la TV a une puissance de 100 W, c’est a priori plausible, mais pour le ventilateur c’est sans doute un petit ventilateur (sinon il faudrait plus de puissance).

Question : si les électrodes ne sont pas inoxydables, alors la corrosion fait entrer les métaux à l’état ionique dans la solution aqueuse (eau ou urine). Que fait-on du mélange ionique après la production d’hydrogène ? Cela pose un problème environnemental certain que personne n’a daigné évoquer.

© 2013 John Philip C. Manson