Un paradoxe empirique à propos des neutrinos

briangreene

J’ai lu Greene sur Twitter récemment. Il arguait qu’en quelques secondes il y avait un million de milliards de neutrinos qui nous traversaient le corps.

Traduction littérale : «Pendant qu’on lit ça, environ un million de milliards de neutrinos traverseront votre corps. (Minimisez en ajustant votre angle au soleil).»

Je voudrais bien le croire, mais il y a un problème empirique. En effet, on sait que les neutrinos interagissent très peu avec la matière. Il y a plusieurs types de détecteurs de neutrinos. Leur principal point commun est d’être composé d’une grande quantité de matériel, étant donnée la faible section efficace d’interaction des neutrinos. De plus, les antineutrinos, comme les neutrinos, n’interagissent avec leur environnement matériel que via la gravitation et des forces faibles, ce qui rend leur détection expérimentale très difficile. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Neutrino#Types_de_d.C3.A9tecteurs_de_neutrinos

Donc quand les neutrinos nous traversent sans interagir avec nos atomes, on ne peut donc pas les détecter ni observer la moindre interaction. Au mieux, nous observerons quelques traces de collisions quand il y aura interaction, mais on ne saura jamais empiriquement combien il y a réellement de neutrinos qui nous traversent sans interagir, puisque sans interaction on n’observe rien, et que par conséquent on ne peut pas compter ces neutrinos invisibles.

Donc d’où provient le nombre avancé par Brian Greene ?

Cela m’intrigue… Je présume que c’est un calcul non étayé par des observations, parce que la majorité des neutrinos traverse la matière presque sans interaction, et qu’il n’y a pas d’observations sans phénomènes d’interactions. Le calcul aura été peut-être inspiré par les réactions thermonucléaires du soleil : on connaît la puissance lumineuse rayonnée par le soleil, et par conséquent on connaît combien d’énergie est rayonnée à chaque seconde, et l’on connaît théoriquement combien de neutrinos sont rayonnés par rapport aux réactions de fusion de l’hydrogène, à chaque seconde. C’est donc une estimation théorique, pas empirique. En divisant la puissance solaire rayonnée par l’énergie moyenne exothermique de fusion thermonucléaire de l’hydrogène en hélium, on a une idée approximative du nombre de neutrinos émis par seconde par le soleil. Par exemple, avec 17,6 MeV (à titre d’exemple, je ne connais pas la valeur exacte) par réaction de fusion, et comme la puissance solaire est de 3,826×10²⁶ W, alors n = 3,826×10²⁶ / (17,6×10⁶×1,6×10⁻¹⁹) = 1,36×10³⁸ neutrinos par seconde, émis par le soleil. Maintenant, on va exprimer cela par unité de surface au niveau de l’orbite terrestre : je trouve environ 5,7×10¹⁴ neutrinos par seconde et par mètre carré. Le corps humain, de face, ou bien de dos, a une surface d’environ 1 m² (on appellera cela plutôt une section efficace de 1 m²).

Si on met environ 5 secondes à lire le tweet de Brian Greene, alors il y aura environ 2,85 millions de milliards de neutrinos solaires qui traverseront mon corps. Ainsi, le calcul montre que le tweet de Greene présente le même ordre de grandeur et que l’info est très crédible. Cependant, ce nombre de neutrinos solaires est théorique, on ne sait pas réellement si ces neutrinos non détectés existent vraiment et qu’ils nous traversent réellement le corps sans interagir avec les atomes, puisque l’absence d’interactions implique directement l’impossibilité d’observations impliquant l’impossibilité d’un comptage expérimental des neutrinos !

  • Ainsi, Brian Greene dit vrai par rapport aux aspects théoriques, mon calcul ci-dessus est venu le confirmer.
  • Mais au niveau expérimental pour corroborer notre hypothèse, l’absence d’interaction des neutrinos implique la non-observation, donc l’absence de données quantitatives. Sans preuves empiriques, on peut paraître avoir raison vis à vis de l’aspect théorique, mais on peut néanmoins se tromper par rapport aux faits.

Dans mon présent article, j’ai voulu montrer la nuance entre concept et expérience. Cela a toute son importance à mes yeux.

© 2013 John Philip C. Manson